Nous sommes des numéros

Je travaille dans l’aéronautique et il suffit de compter les avions dans le ciel pour comprendre que l’industrie est sévèrement touchée par la pandémie. Hier on a congédié 3 de mes collègues directs et encore plus dans d’autres départements que je respectais et qui vont me manquer. Depuis le début de la pandémie, mon département a fondu de 11 à 6 individus, une réduction de 45 %. À l’échelle de la corporation ce sont 15 000 postes qui ont été coupés dans la dernière semaine seulement.

Qui plus est, ce sont les vieux qui ont passé au tordeur hier. Mes trois collègues avaient entre 52 et 62 ans. Leurs 100 ans d’expérience combinée n’aura pas fait le poids contre leurs salaires élevés de professionnels aguerris. La machine capitaliste a tourné et les directeurs ont tranché.

Nous ne sommes qu’une ligne dans un fichier excel

Je ne critique pas le système et je ne compte pas le changer. Mais il faut comprendre les règles du jeu et savoir en tirer le meilleur. Mon père a vécu une fin de carrière en dents de scie. Il ne s’est jamais remis des mises à pied qu’il a vécues dans la cinquantaine et a vivoté d’un emploi à l’autre jusqu’à sa retraite définitive. Même scénario pour mon beau-père qui après la faillite de Nortel n’a plus jamais travaillé comme ingénieur.

Ce que nous vivons me rappelle une des premières raisons pourquoi je veux devenir indépendant financièrement rapidement. Mon père, mon beau-père, mes collègues, tous ont subit une forme d’âgisme justifié par une logique de performance et de rendement pour les actionnaires. Les entreprises en technologie préfèrent les jeunes dynamiques sortant des universités.

Je veux pouvoir me retirer du jeu avant que l’on me sorte de force car je serai devenu un vieux modèle périmé. La vie use et comme le dit McSween dans son dernier livre à partir de 45 ans on devrait être capable de lâcher la pédale et respirer. Nous comptons bien y arriver et pouvoir rire franc si jamais on nous congédie.

14 Responses

  1. Ce que tu racontes est pour moi une découverte. Les deux frères de Mathieu sont ingénieurs et un seul des deux risque sa peau dans la présente pandémie. Ce que tu fais constater dans ton texte, c’est que la compétence honorée par des diplômes universitaires ne garantit plus la carrière.

    Quand j’étais plus jeune – je le suis encore, mais moins, et le serai toujours- le ministre de l’éducation avait fait placardé dans les panneaux publicitaires le long des autoroutes » QUI S’INSTRUIT S’ENRICHIT «… Cela m’apparait avoir changé depuis longtemps d’après ce que tu racontes.

    J’admire ta résilience quand tu écris : » Je ne critique pas le système et je ne compte pas le changer. Mais il faut comprendre les règles du jeu et savoir en tirer le meilleur.» Tu sais que je ne partage pas du tout ta posture, elle me semble fataliste, je sais que tu estimes plutôt qu’elle est pragmatique. Mais j’approuve totalement quand tu écris : » Ce que nous vivons me rappelle une des premières raisons pourquoi je veux devenir indépendant financièrement.» Enfin ! Cela sied tout à fait en place de la préparation d’une longue retraite.

    Ne t’en fais pas, cher Philippe, tu ne seras jamais «un vieux modèle périmé». Si c’était vrai, faudrait qu’on me tire la chaine… j’ai écrit récemment dans une carte d’anniversaire une phrase que j’ai beaucoup aimée, qui, si je m’en rappelle disait ceci : » En ces jours de pandémie et de changements climatiques, le passé est plus solide que le présent et surtout que le futur «. Je le pense vraiment, et c’est avec des gens comme nous, agissons, faisons, projetons, que nous passerons à travers, car nos présents et avenirs finiront aussi dans le passé.

  2. Les ingenieux, mon frère y a passé… si tu ne le savais pas déjà…
    Moi j’ai passé près de prendre la porte à plusieurs reprises au cours des dernières années, mais à date j’ai pu m’éviter ce triste sort.

    1. Oui j’ai été informé pour ton frère rapidement et je l’ai appelé. C’était vraiment l’hécatombe annoncée. On attendait depuis des semaines le jour du grand nettoyage et c’était aussi brusque que je m’y attendais. Les gens ont été remerciés en quelques minutes, un appel avec les RH et ensuite on coupe tous leurs accès, téléphone, etc. Au moins pour les syndiqués ils avaient un préavis. Pendant 24 h on nous annonçait qu’un tel ou un tel était licencié. Ils avaient une liste de noms et la descendaient froidement. Toutes les strates de la population y ont passé. Un père de famille avec 5 enfants, des gens dans la quarantaine et les plus vieux dont j’ai parlé dans mon article.

      Je pense à ton frère dont sa blonde attend un enfant et je lui souhaite de se replacer rapidement, ainsi que de trouver de l’amour et de la sérénité en attendant.

      1. oui mauvais timing et disons que ça ne sera pas facile de se replacer en aéronautique dans ce contexte…. peut-être le temps d’innover un peu, se réorienter… ou d’appeler Elon pour aller travailler pour SpaceSex oups SpaceX

        1. Oui !! Dire qu’il y a deux ans j’ai mis à jour mon CV et mon Linkdin pour… appliquer chez SpaceX en Californie. Mais je n’ai pas osé le risque et j’ai préféré rester confortable au Québec.

  3. André,
    je pense que l’enseignement enrichit toujours, d’ailleurs je suis un avide auto-didacte. Mais, ça n’enrichit pas nécessairement financièrement. 😁 Les diplômes aujourd’hui, tout le monde en a et les jobs si simples que même un primaire fait de nous des gens surqualifiés dans trop de cas…

    Le problème avec le ministère de l’éducation ce n’est pas tant ce qu’il enseigne (quoi que je sois en désaccord avec beaucoup de méthodes d’enseignement subtils – i.e. conditionnement opérant de skinner, behaviorisme) qu’avec ce qu’il n’enseigne pas..

    J’ai cru comprendre que vous étiez enseignant? Demandez donc à vos étudiants de vous expliquer ce qu’est le capitalisme, comment ça fonctionne et comment ils se situent dans le capitalisme…. même après un doctorat bien peu de gens peuvent vous l’expliquer de façon simple et cohérente. C’est pourtant le système dans lequel on vit.

    L’autre problème est que l’on force les enseignants à faire un bac en éducation… Donc qu’ont-ils connu ces enseignants? L’école, comment faire l’école et encore l’école… pour beaucoup trop d’entre eux. Que peuvent-ils alors enseigner du monde extérieur?

    Encore une fois, je généralise… Mais, quelqu’un qui a travaillé toute sa vie pour le ministère de l’éducation après s’être fait éduquer toute son enfance par le ministère de l’éducation connait au final bien peu de choses sur le monde du travail et sa réalité.

    Sans s’en rendre compte, les enseignants transmettent surtout le système… 9h à 5h, performer, rapporter du travail à la maison, se soumettre à l’autorité… ce sont les enseignements les plus imprégnants du ministère de l’éducation. Heureusement, on apprend à lire, écrire et compter… avec un succès mitigé (50% d’analphabètes au Qc).

  4. C’est la triste réalité! Mon voisin qui travaille dans un grand hôtel de Montréal, a vu ses effectifs coupés de 90%. Il a de la chance d’avoir encore une job.

    C’est pour cette raison que les travailleurs qui disent « J’adore ma job, donc la liberté financière c’est pour plus tard » prennent de gros risques. Le monde corpo change à une telle vitesse.

    Bon courage!

    1. Comme ton voisin je me compte chanceux d’avoir une job. En effet dans le monde corpo on est tous et tout le temps sur un siège éjectable. Ne pas se préparer une porte de sortie, même si c’est dans 10 ans, revient à faire du déni.

      Nous nous sommes répartis les tâches de nos anciens collègues et allons tenter de se rendre à Noël en un morceau en livrant le maximum de projets. Nous sommes des citrons et ils serrent le jus au maximum après avoir jeté les pommes pourries.

      En passant, merci pour nous avoir mentionné dans ton livre!

  5. Oufff! Quelle histoire.
    En lisant ton article, je me suis aperçu que je suis plutôt chanceux, puisque je travaille dans un milieu où la sécurité d’emploi est pour le moment garantie.

    Mais quand tu as parlé d’âgisme, là j’ai reconnu certains mœurs de mon milieu de travail. Les plus vieux ne sont pas tous reconnus comme ils devraient l’être, pour leur expérience, pour leurs savoirs ou même pour les contributions passées à l’organisation. Et ce n’est pas par manque de volonté de l’équipe de gestion, mais bien à cause de la description de tâches qui augmente constamment, à tous les niveaux de l’organisation.

    Alors, nos vieux se retrouvent dans un coin et se comparent aux plus jeunes, qui sont nécessairement performants, dans cette ère ou tout est numérique. Et c’est ça qui ne devrait pas arriver. Un sage ne devrait pas se comparer un jeune technophile qui sort de l’école. C’est donc un peu dommage de constater ensuite que ceux-ci ont tendance non pas à se refermer sur eux-même, mais bien à s’auto-juger. À se sentir moins bons. À compter les années avant la retraitre.

    Bref, longue parenthèse, je pense que c’est aussi une raison du pourquoi j’ai le souhait de quitter « le monde de la production à tout prix ». S’il le faut, j’irai travailler, à partir de 45 ans, dans un emploi qui valorise justement l’expérience, avec probablement moins d’écrans, moins de stress, et pas mal moins de pression à livrer les mandats dans des échéances données.

    Mon rêve à moi, c’est de travailler dans le monde du tourisme ou dans une base de plein air, avec les clients. Animer un kiosque, discuter avec les gens, rendre un service. Ou peut-être faire comme MMM et travailler dans un espace de coworking? Un service de réparation informatique? Donner des cours aux aînés? Bref…. beaucoup d’idées, on verra bien rendu là.

    Ciao!

    1. Bonjour Renard Futé,
      J’ai tout plein d’idées d’entreprises non-rentables mais qui m’allument vraiment. En ayant un fond de roulement je pourrai explorer ces idées et éventuellement me trouver une niche qui sera payante. J’aimerais avoir une petite pépinière en ville, avoir un Fab Lab, un genre de bibliothèque d’outils et de connaissances pratiques, travailler à verdir mon quartier, ouvrir une cie de téléphonie IP, etc. On verra bien rendu là! On court tout le temps entre le travail, les enfants, la préparation des repas et on ne prend pas le temps de connaître nos voisins sur la rue qu’on côtoie pourtant durant des années mais qu’on se contente de saluer de la main en vitesse. Je veux briser ce cycle et bâtir une véritable communauté (pas une secte!). Je prend le temps de m’arrêter et de parler à mes voisins, quand j’ai le temps. Mais je suis marginal et la plupart des gens courent de la maison à leur voiture sans regarder autour. Si nous avions vraiment une mentalité de «village» et d’entraide, nous pourrions travailler moins et combler nos besoins individuels et collectifs. Bon je dérape Ciao !

  6. En même temps, vieux ne veut pas nécessairement dire sage… Henry David Thoreau en parlait déjà dans Walden il y a presque 200 ans… On nait tous inculte d’une certaine façon, certains avec plus d’aptitudes et d’intérêts que d’autres à se cultiver mais on est tous biaisés aussi par notre culture, notre époque, notre milieu de vie et environnement…
    Je ne crois pas que l’âge soit un grand facteur de sagesse sauf si on a quelqu’un de très curieux qui a passé sa vie à se cultiver et qui avait des aptitudes supérieures à le faire.

    L’équité et la justice, l’égalité, ce sont de beaux concepts abstraits, des idéaux mais c’est aussi très utopique.

    Ce qui devrait être vs ce qui est n’a aucun lien avec ces concepts.

    Les choses sont ce qu’elles sont par la somme de tous nos efforts et décisions individuelles et collectives.

    Si les plus vieux «traînent» de la patte parce qu’ils n’ont pas eu cette éducation nécessaire pour bien performer dans le contexte dans lequel on se trouve, cela n’a rien à voir avec ce qui devrait être. C’est simplement la loi de l’offre et de la demande à l’oeuvre.

    Tu as une entreprise qui a besoin d’un spécialiste en intelligence artificielle au courant de toutes les avancées en ce domaine, qui sait programmer, construire et déconstruire la technologie… tu vas en prendre un qui va être compétent et connaissant.

    Le plus vieux qui ne sait pas utiliser la télécommande de sa télévision… il est clair qu’il va être laissé pour contre… rien à voir avec la sagesse ou l’équité et ça je ne vois pas ce qu’on peut faire pour ça, sinon offrir la connaissance… Après, il appartient à tout un chacun de s’y intéresser et de s’y dédier.

    Beaucoup de gens, jeunes et moins jeunes, se contentent des connaissances sommaires qu’ils ont accumulés. C’est suffisant pour leur confort et ils préfèrent dédier leur temps à autre chose. Aucun mal à ça. Mais après, il est difficile de dire que la vie est injuste parce que tu ne cadres plus.

    Tout va vite aujourd’hui. Vouloir s’asseoir sur son diplôme d’études primaire, secondaire ou même universitaire pour tjrs sans s’auto-former ou faire de la formation continue et pluri-disciplinaire, c’est jouer avec le feu.

    Il y a eu une ère pour les spécialistes, mais je pense que l’ère de la polyvalence revient. Les spécialistes doivent avoir des connaissances multi-disciplinaires pour être à même de travailler avec les technologies en vogue et dans des équipes pluri-disciplinaires.

    On aimerait tous pouvoir s’asseoir sur notre steak, sur nos acquis et profiter pour 80 ans de notre vie bien relax à ne pas se forcer à s’éduquer constamment, mais c’est risqué de le faire. Et il faut vivre avec les conséquences si c’est le choix qu’on fait..

    On vit dans un monde très compétitif. Les ressources notamment seront de plus en plus au centre des discussions avec la croissance de la population, le réchauffement climatique…

    1. Il est clair que si on s’assoie sur nos lauriers on se fait dépasser par la parade. On dit que la plupart des métiers dans 30 ou 40 ans sont encore à être inventés. Ne pas se développer et se contenter de regarder des téléséries le soir revient à se mettre des oeillères. En effet ceux qui réussiront plus tard et même ceux qui réussissent déjà aujourd’hui sont ceux qui sont soit au sommet de leur domaine ou ceux qui pensent de façon latérale, multisystémiques et qui sont encore un pas ou deux en avance sur les intelligences artificielles. Tu fais bien de ramener la surpopulation et la crise climatique. Nous entrons dans une période trouble pour la civilisation et ce sont ceux qui ont un profil de l’homme de la renaissance qui vont tirer leur épingle du nouveau jeu. J’aime bien comment Fisker en parle dans son livre. On vient de compléter un cycle depuis les lumières de la Renaissance et on retourne dans une époque fondatrice de ce qui sera.

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